Omerta familiale : La prédisposition au cancer du sein

La découverte des mutations génétiques qui prédisposent au cancer du sein remonte aux années 1994-1995. Tout membre d’une famille dite « à risque » peut se rendre dans un centre de génétique pour y demander un test de dépistage. Une prise en charge médicale préventive et spécifique est mise en place à la suite d’un résultat positif. Ce parcours est facilité lorsque la famille est soudée, et prend des décisions ensemble. Tout d’abord, dans la recherche du gène défaillant, de nombreuses informations sur la généalogie et les antécédents médicaux de votre famille vous seront demandées. Plus les réponses seront précises, plus les risques seront calculables. Puis à l’annonce d’un résultat positif, ou pendant les examens de surveillance qui se dérouleront ensuite, ou encore durant l’opération mammaire préventive, les proches représentent un grand soutien moral. Les spécialistes font malheureusement souvent face à des familles dont le sujet de la prédisposition génétique divise les membres et représente un tabou.

Les dégâts du silence

« Une étude publiée en 2013 avec l’Institut National du Cancer a montré un déficit du testing (réalisation du test génétique afin de savoir si on est porteur/se ou non de la mutation du gène) des apparentés de personnes porteuses de cette mutation), une autre étude qu’un tiers des personnes concernées n’avaient pas eu l’information, déplore-t-il. Or, la connaissance de cette mutation diminue la mortalité du cancer du sein et de l’ovaire liés à cette mutation de 80%. Cette information évite le décès par cancer du sein ou de l’ovaire à une femme sur 5 par le dépistage et la prévention », informe le Pr Pascal Pujol, chef du service d’oncogénétique du CHU de Montpellier et membre fondateur de l’association BRCA France dans une interview à Top Santé.

La décision de pratiquer ou de recourir au test prédictif implique des enjeux psychologiques et familiaux complexes.

La démarche d’aller pratiquer un test génétique afin de déterminer si l’on est porteuse/eur d’un risque ne se réduit pas à la simple remise par le généticien d’un résultat positif ou négatif. Elle entraine avec elle bien d’autres questions : « Comment ne pas en vouloir à ma mère atteinte d’une maladie dont j’ai potentiellement hérité ? », « Comment évoquer cette maladie avec mes frères qui ne veulent pas en parler ? », « Comment supporter l’idée d’avoir transmis une maladie à ma propre descendance ? », etc.

Aborder un tel sujet peut être vécu comme un tremblement de terre pour une famille. Transmettre ou recevoir un gène défectueux peut faire émerger de la culpabilité, de la peur ou de la colère, un ensemble de sentiments pouvant venir fragiliser et mettre à mal les liens familiaux. Le « secret » vient alors constituer une protection imaginaire. En taisant le sujet, on a ainsi un peu la sensation qu’il n’existe plus.

Briser un tabou, c’est modifier le schéma familial

Il existe une organisation propre à chaque famille. Il a les décideurs, les communicants, ainsi que ceux qui créent le lien entre les membres. Lorsqu’un tabou s’instaure au sein d’une famille, il est souvent créé et maintenu par un petit groupe de personnes. Pour le briser, les rôles doivent s’inverser ; ainsi ceux qui d’ordinaire ne communiquent ou ne décident pas vont devoir prendre cette place et faire naitre la communication et la vérité. Or, les « hiérarchies » familiales demeurent les mêmes durant des générations et il est difficiles de les modifier sans que cela n’entraine un bouleversement.

La recherche de « vérité » par l’un de ses membres provoque un déséquilibre ; les questions qui motivent un individu à entamer une telle démarche peuvent aller à l’encontre de toute une structure familiale. Son caractère génétique ramène aux thèmes de l’amour, de la loyauté, de l’héritage, et aux questions relatives à ce que l’on transmet, ce que l’on lègue et ce qu’on partage.

« Je me suis rendue compte que je faisais perdurer le tabou »

Pour ma part, le sujet du cancer du sein fut auparavant un tabou dans ma famille. La sœur de ma maman en était l’un des piliers et sa mort, suite à un cancer du sein, a généré un profond traumatisme. D’abord la tristesse infinie. Puis le déséquilibre, ma tante étant celle qui organisait, recevait les évènements familiaux. Elle était aussi celle qui maintenait la paix et la communication dans notre famille. Elle n’a jamais souhaité parler de sa mort. Elle est partie sans un au revoir. A son départ, nous étions étranglés de chagrin et de colère. Parler d’elle et de sa maladie revenait alors à troubler son sommeil. Et durant une décennie nous ne parlions plus d’elle, tout du moins sans pleurer.

Lorsque j’ai appris mon cancer du sein à l’âge de 32 ans, je n’ai pas osé en parler à ma mère. Nous avions perdu mon père un an auparavant et avec le souvenir traumatisant du départ de ma tante, je craignais qu’elle ne puisse supporter cette nouvelle. Je me suis rendu compte que je faisais perdurer ainsi le tabou. Pourquoi devrais-je craindre de révéler la vérité ? A l’issu de plusieurs mois de mensonge, j’ai réalisé que ce n’était pas ma mère que j’essayais de protéger, c’était moi. Me protéger de la culpabilité de ce que j’infligeais. La honte de faire perdurer le drame et la souffrance. Mais mentir n’annule pas la vérité. Je devais simplement instaurer des règles autour de cette information que j’allais transmettre à ma famille, pour moi-même et pour les autres. Je ne voulais pas que l’on s’apitoie sur mon sort. Je souhaitais lever cette chape de plomb sur le sujet de la maladie. Et surtout ne pas créer d’angoisse autour du sujet. Ma mère et ma famille ont été à l’écoute et ont eu l’attitude dont j’avais besoin. Finalement nous avons reparlé de ma tante et c’était comme reprendre son souffle après tant d’années.

Quand le sujet de la prédisposition génétique est arrivé, je pensais que mes proches seraient plus réticents à y participer, mais ce fut l’inverse. Ils ont pris toute l’ampleur de l’information avec lucidité et sagesse. Ainsi, ma tante n’est pas partie pour rien, elle nous a légué une information essentielle pour cette étape cruciale : restez unis. Pour toute famille, il faut du temps pour infuser et digérer ces informations. Même si elle entraine inévitablement des chamboulements, l’information, la pédagogie et le temps sont la clé. 

Alice Detollenaere

A écouter également : Le témoignage de Pauline -Briser le silence de la prédisposition génétique-

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