Mutation génétique : Une obligation d’informer les membres de sa famille ?

Communiquer sur la prédisposition génétique au cancer du sein en famille peut être délicat, voire impossible. Déjà parce que le sujet renvoi à des évènements traumatisants et qu’il créé la peur légitime de les voir se répéter. Aussi parce qu’il engendre d’autres sentiments comme la culpabilité ou la rancœur de transmettre ou d’avoir hérité d’un gène de prédisposition. Ainsi, afin de ne pas créer de chamboulement familial, il peut être aisé de vouloir garder l’information pour soi.

Maître Héloïse Dujardin a accepté de répondre aux questions de Savoir pour Choisir. La spécialiste en droit pénal tente de nous éclairer sur nos devoirs en cas de découverte de prédisposition génétique.

Existe-t-il une obligation d’informer les membres de sa famille en cas de découverte d’une prédisposition génétique au cancer du sein ?

« Compte tenu des enjeux inhérents à la découverte d’une prédisposition génétique tant pour le patient que pour les membres de la famille, cela, mis en balance avec le droit au secret médical, le législateur a nécessairement dû intervenir afin d’encadrer le droit à l’information de l’entourage familial direct.

Aussi, pour comprendre la portée de l’obligation d’information, il est utile de revenir à la base que constitue le droit au secret médical.

Il pourrait être naturel de penser que ce droit, protégé par les dispositions de l’article L1110-4 du code de la santé publique serait impératif et ne souffrirait d’aucune dérogation.

Or, cet article consacre à la fois ce droit mais prévoit également les exceptions à celui-ci. 

Cela concerne notamment la possibilité pour un médecin de communiquer avec les proches du patient des informations relatives à son état de santé afin de faciliter son accompagnement en cas de diagnostic ou de pronostic grave ou encore la divulgation, post-mortem, d’informations médicales à la famille ou au médecin assurant la prise en charge d’un patient susceptible de présenter la même maladie génétique.

Il existe bien une obligation d’informer les membres de sa famille en cas de découverte d’une prédisposition génétique.

Sans entrer dans une énumération ou une analyse rébarbative de la lettre de la loi, il convient néanmoins, là encore, de préciser que ces informations sont, en principe, délivrées à la condition que le patient ne s’y soit jamais explicitement opposé.

Afin de contourner, d’une certaine manière, le caractère inviolable du secret médical, le législateur est venu apporter des dispositions particulières concernant la question des prédispositions génétiques.

C’est ainsi que depuis 2004, on assiste à une inflation législative sur la question et il n’est pas toujours aisé de s’y retrouver lorsque l’on n’est pas un professionnel du droit.

Aussi, ce qu’il faut retenir c’est qu’il existe bien une obligation d’informer les membres de sa famille en cas de découverte d’une prédisposition génétique.

Le patient ne s’expose, dans l’hypothèse d’une violation de cette obligation, à aucune sanction pénale.

Cette obligation est prévue et instaurée par la loi Bioéthique de 2004, puis ayant fait l’objet de modification successives. Elle impose au patient diagnostiqué d’informer les membres de sa famille potentiellement concernés.

Il est néanmoins à souligner que le patient ne s’expose, dans l’hypothèse d’une violation de cette obligation, à aucune sanction pénale.

En outre, si la question s’est déjà posée d’une éventuelle responsabilité civile relative à la violation de l’obligation, en pratique il apparait qu’aucune poursuite, n’a, jusqu’à lors donné lieu à une condamnation en responsabilité, notamment parce qu’une faute ne peut résulter de l’exercice du droit au secret médical ».

Comment les personnes qui ne sont plus en lien avec leur famille biologique et qui découvrent être porteuse d’un terrain prédisposition peuvent-elles transmettre l’information ?

« Le code de la santé publique prévoit que la personne a l’obligation d’informer les membres de sa famille potentiellement concernés dont elle possède ou peut obtenir les coordonnées, dès lors que des mesures de prévention ou de soins peuvent leur être proposées.

Pour simplifier, si vous n’êtes plus en lien avec votre famille biologique, que vous n’avez aucune coordonnée et vous trouvez dans l’incapacité de les trouver de quelque manière que ce soit, vous êtes dispensé de cette obligation.

Aussi, dans l’hypothèse où vous auriez la possibilité de les contacter mais ne souhaitez pas le faire directement, les dispositions du code de la santé publique vous donnent la possibilité de passer par votre médecin pour ce faire.

En effet, ses articles prévoient que la personne qui ne souhaite pas informer elle-même les membres de sa famille potentiellement concernés, peut demander par un document écrit au médecin prescripteur, qui atteste de cette demande, de procéder à cette information.

Elle lui communique à cette fin les coordonnées des intéressés dont elle dispose.

Le médecin porte alors à la connaissance de ces derniers l’existence d’une information médicale à caractère familial susceptible de les concerner et les invite à se rendre à une consultation chez un médecin qualifié en génétique sans dévoiler à ces personnes le nom de la personne ayant fait l’objet de l’examen, ni l’anomalie génétique, ni les risques qui lui sont associés. »

Au nom de l’intérêt familial, un médecin de famille peut-il lever le secret médical et informer des personnes qui n’auraient pas reçu l’information ?

« En aucun cas le médecin peut lever le secret médical sans le consentement écrit de la personne concernée par l’examen.

C’est uniquement dans l’hypothèse où le patient est décédé avant d’avoir obtenu le résultat de ses examens ou avant d’avoir pu prévenir les membres de sa famille que le médecin peut procéder à l’information des membres de la famille concernés dont il possède les coordonnées et uniquement si la personne ne s’y était pas préalablement opposé.

En définitive, bien que l’obligation d’informer soit une obligation légale, la violation de celle-ci n’entraine en pratique que peu de conséquences juridiques, toutefois, elle peut avoir des conséquences dramatiques pour la santé de vos proches. Il est donc de votre devoir de les informer de la présence du terrain de prédisposition génétique. »

Propos recueillis par Alice Detollenaere